Faut-il mettre en place un congé menstruel pour les femmes qui souffrent de règles douloureuses, à l’instar des expérimentations de certaines entreprises et collectivités ? Une solution controversée.
En France, l’endométriose toucherait 2,5 millions de femmes. C’est la première cause d’infertilité dans notre pays.
Par Claire Nillus
Le congé menstruel, vraie ou fausse bonne idée ? , titre un sondage Ifop d’octobre 2022. L’enquête révèle que 53 % des femmes interrogées souffrent de règles douloureuses et 66 % seraient favorables à la mise en place d’un congé menstruel dans leur entreprise. Celui-ci existe en Espagne, depuis juin 2023, premier pays européen à l’avoir mis en place, ainsi que dans d’autres pays dont la Zambie, le Japon et l’Indonésie. En Espagne, les salariées peuvent demander à leur médecin un arrêt de travail en cas de règles douloureuses, sans jour de carence (contre trois habituellement) et indemnisé au même titre qu’une maladie.
En France, certaines entreprises et collectivités se sont lancées, octroyant des congés sous diverses conditions : depuis l’été 2023, les salariées de Carrefour souffrant d’endométriose bénéficient de douze jours d’absence autorisée par an (à raison d’un jour par mois) à condition de se voir accorder une RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) ou une attestation d’invalidité délivrée par l’Assurance maladie. Depuis mars 2023, la ville de Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis (1 200 agentes), permet deux jours d’arrêt par mois sur justification médicale, sans retenue de salaire. Pour en bénéficier, elles doivent prendre rendez-vous avec le médecin du travail.
« Pendant longtemps, cette douleur a été banalisée, entraînant des retards de diagnostic. Mais ce n’est pas normal de souffrir » |
Les politiques aussi se sont emparés du sujet puisque deux propositions de loi ont été déposées par les socialistes au Parlement en 2023.
Si l’émergence de ce sujet au travail comme dans la sphère publique a l’avantage de lever le voile sur un tabou, le congé menstruel constitue-t-il pour autant la bonne réponse en cas de règles douloureuses ? Isabella Chanavaz-Lacheray – gynécologue obstétricien et médecin de la reproduction à l’IFEM Endo (Institut franco-européen multidisciplinaire d’endométriose), qui milite depuis vingt ans pour que les femmes atteintes d’endométriose (lire l’encadré) soient soignées et soulagées – n’en est pas convaincue : « Mettre en place un congé menstruel, c’est accepter l’idée que les règles font souffrir au lieu de supprimer la douleur. La véritable réponse aux règles douloureuses, c’est une prise en charge médicale ad hoc. »
Autrement dit, libérer la parole, informer, sensibiliser et éduquer le plus grand nombre, c’est une bonne chose. Renvoyer les femmes qui souffrent chez elles, non. « Une douleur qui empêche de mener à bien ses activités quotidiennes, qui ne passe pas avec un simple antalgique, une douleur qui est la cause d’absences régulières au travail n’est pas normale ! », abonde Yasmine Candau, présidente de l’association EndoFrance. Dès 2005, cette association a mené, en partenariat avec le ministère de la Santé, des démarches qui ont enfin abouti en 2022 à un plan national d’action pour renforcer la prise en charge médicale des femmes, organiser la formation des personnels de santé et soutenir la recherche.
Ne pas banaliser la douleur
Selon Yasmine Candau, le congé menstruel peut être une solution dans l’attente d’un dépistage de l’endométriose. Une bonne chose puisque, actuellement, le délai de prise en charge est de sept ans en moyenne ! «Pendant longtemps, cette douleur a été banalisée, entraînant des retards de diagnostic. Mais ce n’est pas normal de souffrir», dit-elle. Très fréquente, cette maladie est mal connue, et pour cause : elle n’est au programme des étudiants en médecine que depuis 2020. L’idée d’un congé menstruel ne trouve pas plus d’écho auprès des associations féministes. En France, Osez le féminisme ! craint une discrimination des femmes à l’embauche ou au cours de leur carrière et plaide plutôt pour la suppression du jour de carence en cas d’arrêt maladie.
Et, surtout, le corps des femmes ne devrait plus être un facteur d’inégalités, clame la philosophe et professeure de science politique à Reims, Camille Froidevaux-Metterie. Il ne devrait pas être nié comme il l’est depuis longtemps pour prétendre aux mêmes rôles et fonctions sociales que les hommes. Dans son livre Un corps à soi (Seuil, 352 pages, 2021), elle interroge ainsi la disparition du corps féminin à travers la lutte pour l’égalité des droits. « Dans le monde du travail, les femmes doivent faire comme si elles n’avaient pas de corps. Elles n’ont pas leurs règles, elles ne souffrent pas d’endométriose, elles n’ont pas d’enfants, elles n’allaitent pas, elles n’ont pas de cancer du sein. » Le vrai combat, c’est effectivement la santé des femmes qui demeure un angle mort des politiques de santé au travail.
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