« Des maux invisibles » : c’est sous ce titre évocateur que la Délégation aux Droits des femmes du Sénat présente un rapport d’information qui fera date. Il évoque l’usure physique et psychique, les troubles musculo-squelettiques, les cancers qui entraînent des répercussions sur la santé des femmes au travail et sont encore largement méconnues et minimisées.
De même, les rapporteures, Laurence Rossignol (Parti socialiste), Laurence Cohen (Parti communiste), Annick Jacquemet (Union centriste), Marie-Pierre Richer (rattachée Les Républicains), estiment que les difficultés associées à la santé sexuelle et reproductive des femmes sont toujours sous-estimées, voire ignorées, dans le monde du travail.
Le rapport pointe que le manque de reconnaissance de la charge physique et mentale du travail des femmes est ainsi à l’origine d’impensés féminins dans la conception et la mise en œuvre des politiques de santé au travail. Une question d’actualité à l’heure où les projecteurs sont braqués sur les questions de travail.
Six mois d’audition
Pendant plus de six mois, la délégation aux droits des femmes s’est penchée sur la santé des femmes au travail, sujet encore largement méconnu voire ignoré par les pouvoirs publics comme par les employeurs.
Usure physique et psychique, troubles musculo-squelettiques (TMS), cancers, violences sexuelles et sexistes (VSS) : les répercussions du travail sur la santé des femmes ne sont que trop rarement prises en compte dans la sphère professionnelle.
Pourtant les chiffres sont éclairants :
Une absence d’approche genrée
En matière de santé au travail, les données sexuées sont encore incomplètes et mal exploitées. À titre d’exemple, la Direction générale du travail n’a pas été en mesure de fournir aux rapporteures des données par sexe sur la répartition des arrêts maladie ou le suivi effectué par les services de prévention et de santé au travail. De plus le rapport constate que les recherches épidémiologiques manquent encore sur les secteurs à prédominance féminine, en particulier du care (soin) ou du nettoyage. Or, sans connaître, comment prévenir et comment réparer ?
Au-delà des données sexuées, les maladies à caractère professionnel que vivent les femmes sont imparfaitement connues, en raison d’un double phénomène : une sous-reconnaissance de ces maladies et des phénomènes très largement non déclarés : par exemple les TMS (troubles musculo-squelettiques).
Tout cela a pour conséquence l’insuffisance de la prévention en direction des femmes, d’autant plus marquée avec une médecine et une inspection du travail sinistrées.
Une focalisation sur « l’homme moyen »
Nous avons tous connu ce phénomène : les chaises et la hauteur des éviers sont calculées en fonction de « l’homme moyen », eh bien dans le domaine de la santé et de la sécurité, c’est la même chose. Les postes de travail et les équipements, y compris de sécurité, sont faits pour les hommes, les politiques de prévention ou de risques sont construits autour des métiers masculins. Exemple des « gants de protection utilisés par les soignantes et les femmes de ménage », « qui sont trop grands et laissent passer les produits ». Exposées à des risques encore mal mesurés, soumises à des carrières moins linéaires que les hommes, les femmes sont seulement 23 % à bénéficier du compte personnel de prévention.
Les femmes sont majoritairement exposées à des risques invisibles et silencieux liés à une usure physique et psychique, alors que les hommes sont davantage exposés à des dangers visibles et engageant parfois le pronostic vital.
Comment penser la santé au travail au féminin ?
Le rapport ne se contente pas de constats, il avance des pistes de progrès. D’abord « Chausser systématiquement les lunettes du genre » en affirmant « Différencier n’est pas discriminer ». Développer l’exploitation des données genrées, les intégrer dans les plans de santé au travail, obtenir un DUERP genré (document unique d’évaluation des risques professionnels), développer et adapter la prévention, revoir la liste des critères de pénibilité… Quelques pistes proposées parmi d’autres.
S’intéresser à la santé sexuelle et reproductive au travail
Un sujet parfais tabou, car intime, en tout cas un sujet difficile mais qui, on le voit dans certains pays ou entreprises, commence à être traité. Si la mise en place d’un congé menstruel généralisé n’a pas été retenue parmi les propositions, le rapport propose d’ajouter l’endométriose à la liste des affections de longue durée (ALD). Il prône également la prise en charge des pathologies menstruelles incapacitantes et une attention plus soutenue sur la grossesse qui continue à faire l’objet d’une stigmatisation persistante au travail. Enfin la ménopause est présentée comme le dernier des tabous féminins alors que 14 millions de femmes qui travaillent sont concernées.
Le rapport plaide pour une sensibilisation des employeurs et des médecins du travail à ces problématiques.
23 recommandations :
Les rapporteures formulent vingt-trois recommandations qui s’articulent autour de trois grands axes déjà évoqués :
- chausser systématiquement les lunettes du genre ;
- développer et adapter la prévention à destination des femmes ;
- mieux prendre en compte la santé sexuelle et reproductive au travail, en particulier les pathologies menstruelles incapacitantes et les symptômes ménopausiques.
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Alors que la question du travail a émergé comme une centralité lors du récent conflit de la réforme des retraites, les préconisations du Sénat sont un vademecum très utile pour toutes les équipes syndicales, les mandatés dans les caisses de sécurité sociale et tous les services de DRH. Il y a urgence.
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