Selon le comité européen des droits sociaux (CEDS), la retenue d’une journée entière de traitement des agents publics de l’État, même s’ils font seulement quelques heures de grève, est disproportionnée et enfreint la charte sociale européenne. Pourquoi et d’où vient cette différence de traitement avec les agents territoriaux et hospitaliers ? La CFDT fonction publique y répond.
La législation et la règlementation en vigueur sur les conséquences de la grève pour un fonctionnaire reposent notamment sur le fait que contrairement au salarié de droit privé, l’agent public a droit à rémunération après service fait. Or, il n’y a pas de service fait en cas de grève. De sorte, il n’y a pas de rémunération.
Ce qui peut paraître surprenant c’est qu’au sein de la fonction publique, la retenue sur la rémunération est différente selon que l’on soit agent de l’État, d’une collectivité territoriale, d’un établissement hospitalier.
Que dit la loi ?
Pour les agents de la Fonction publique de l’État, et en application de l’article L.711-3 du Code général de la fonction publique, le principe est celui dit du trentième indivisible. Chaque jour de grève emporte retenue de 1/30ème de la rémunération totale (y compris les primes, sauf le supplément familial de traitement, mais dans les limites de la quotité saisissable), même si la grève est inférieure à 1 journée. Plus encore, si un agent fait grève du vendredi au lundi inclus, il supportera 4 jours de retenue sur sa rémunération puisque le samedi et le dimanche sont pris en compte, alors même qu’il n’a pas vocation à travailler le week-end.
Il s’agit de l’application d’une règle comptable, édictée par la loi 61-825 du 29 juillet 1961 portant loi de finances rectificative.
Pourquoi cette différence ?
À la suite de plusieurs conflits sociaux, notamment dans les transports aériens, le député des Pyrénées-Atlantiques Alain Lamassoure, futur ministre délégué au Budget sous la présidence de Jacques Chirac, porte le 11 juin 1987 un amendement qui sera voté le lendemain à l’Assemblée nationale, afin de limiter le droit de grève. Le Sénat votera à la suite, dans la nuit du 22 au 23 juin 1987, le rétablissement du trentième indivisible pour tous les agents et salariés de la fonction et des services publics.
Toutefois, le Conseil constitutionnel saisi par les députés socialistes, décide que « le mécanisme de retenue automatique sur la rémunération des intéressés que le législateur a adopté …., par la généralité de son champ d’application qui ne prend en compte ni la nature des divers services concernés, ni l’incidence dommageable que peuvent revêtir pour la collectivité les cessations concertées du travail, pourrait, dans nombre de cas, porter une atteinte injustifiée à l’exercice du droit de grève qui est constitutionnellement garant ». Par là-même, le Conseil constitutionnel renvoie à la législation sur le droit de grève (Conseil constitutionnel 28 juillet 1987 n° 87-230 DC loi DDOS).
La règle comptable épargne depuis lors les agents de la Territoriale et de l’Hospitalière
Les agents des deux versants de la fonction publique Territoriale et Hospitalière, connaissent toujours une retenue proportionnelle à la durée de la grève soit 1/30ème pour une journée d’absence, 1/60ème pour une demi-journée d’absence, et 1/151,67ème par heure d’absence.
En cas de grève se substituant à une garde, la retenue est proportionnelle au nombre de gardes mensuelles.
Cette différence de traitement selon les versants de la fonction publique est-elle acceptable ?
Non. En tous cas, pas en regard de la charte sociale européenne selon le comité européen des droits sociaux (CEDS). Ce dernier en effet, le jour de la Saint-Valentin le 14 février 2023, a rendu une décision et a estimé que « cette règle constituait, dans son effet, une restriction d’un droit fondamental », à savoir le droit de grève ».
Toutefois, à ce jour, cette décision demeure uniquement symbolique, car l’avis de la CEDS ne peut pas s’imposer au gouvernement français. Paris peut continuer à traiter ses agents publics de manière différente par rapport à la conséquence sur la feuille de paye d’une action de grève. Le droit et la justice ne se rencontrent pas toujours.
En s’appuyant sur cet avis qui provient d’une instance du conseil de l’Europe, la CFDT veillera à ce qu’un dialogue social constructif et loyal avec les employeurs publics, permette de rétablir une équité souhaitable entre tous les agents. Ce sera l’une des revendications que nous porterons dans le cadre du prochain agenda social qui contiendra – à la demande de la CFDT- un chapitre consacré au dialogue social. Nous ne manquerons d’ailleurs pas de rappeler que les décisions du CEDS établissent le droit et peuvent servir de base à des développements positifs pour les droits sociaux par le biais de la législation et de la jurisprudence au niveau national.
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